Le fromage Squiq Squiq

J’écris ces lignes alors que je suis à Baie-Saint-Paul, tout juste après une visite à l’économusée de la Laiterie de Charlevoix qui propose un parcours de leurs sites de production et de leur musée laitier, le tout suivi d’une dégustation de fromages.

Nous sommes vers la fin de la saison touristique alors mon mari et moi avons eu le privilège d’avoir une visite privée entre le passage de deux groupes.

Ce fut d’autant mieux puisque l’animateur, un charmant retraité de Pierrefonds qui passe ses étés dans la région de Charlevoix, a pu répondre à nos nombreuses questions avec plaisir.

C’est la première fois que j’expérimente le concept d’économusée que je ne connaissais pas du tout. L’idée derrière la création d’économusée est de lier les artisans avec le public. On a un contact en temps que consommateur, mais il y a surtout une fonction pédagogique à l’exercice puisqu’on apprend leur technique de production et l’histoire socioculturelle qui teinte les produits.

La laiterie de Charlevoix ne produit malheureusement plus de lait depuis plusieurs années, mais s’est plutôt lancée dans la production de fromage. En effet, alors que 1500 producteurs de lait pasteurisé étaient recensés en 1930 (les producteurs de lait cru n’étaient pas comptabilisés), il n’en reste aujourd’hui que 7, tous de grosses compagnies telles que Natrel et Québon.

Il faut savoir que mon mari est intolérant au lactose et que je suis moi-même un peu mitigée par rapport aux produits laitiers, car de plus en plus d’études parlent des dangers de leur consommation. J’y allais surtout par curiosité, car je n’avais jamais vu la production de fromage et j’ai été agréablement surprise par les améliorations écologiques qu’ont mises en place les propriétaires.

Une Production écologique

Pour 10 litres de lait, on fabrique 1 kg de fromage et pour chaque litre de lait, 4 litres d’eau sont utilisés pour le processus complet (ainsi que le nettoyage et stérilisation). Le petit lait, le lactosérum, était autrefois donné aux porcheries et donc, il y avait moins de rejet, mais comme l’industrie est en perdition dans la région, il fallait trouver une solution aux rejets des eaux usées et du lactosérum.

La famille Labbé a mis sur pied un procédé européen appelé la méthanisation. Il s’agit de traiter par digestion anaérobie qui transforme la matière organique en compost, méthane et gaz carbonique par un écosystème microbien qui fonctionne en absence d’oxygène. La matière organique est réduite de l’ordre de 90% et la décomposition organique produit de l’énergie continuellement pour deux réservoirs d’eau qui servent d’alimentation au système de chauffage pour la cuisson du fromage.

Les propriétaires ont également voulu réduire leur empreinte en nettoyant l’eau et les boues  qui restaient (10%) en intégrant au processus l’éco-machine. Ceci qui élimine 5% des résidus encore compris dans les boues en plus de filtrer et purifier l’eau en la faisant passer dans des bassins de plantes pour ensuite la retournée à la rivière. Le 5% restant de boues non complètement nettoyées est retourné dans le processus de nettoyage avec l’arrivée quotidienne de nouvelles matières à nettoyer. Une fois propre les boues sont épandues dans les champs. Tout ce traitement prend environ 10 jours.

bassins éco-machine
bassins processus écologique

L’investissement derrière le projet ? 3 millions de dollars et une subvention de 800 000 dollars des gouvernements provincial et fédéral. La beauté c’est qu’on ne voit que la partie des bassins de plantes puisque le réseau est presque complètement sous terrain.

La production de fromage à la laiterie se fait derrière des baies vitrées ce qui nous permet de voir les employés travailler et l’on suit également un parcours qui nous mène à un musée de matériel laitier. Des installations pour la production de moules aux véhicules ambulants de crème glacée qui parcouraient le parc Lafontaine, des collections d’affiches publicitaires (c’est d’ailleurs très intéressant d’analyser les différents styles de marketing) jusqu’aux petits pots de crème en vitre qui ornaient les tables des restaurants à l’époque ; tout y est.

L’ingrédient magique du fromage

Chose que j’ignorais, la fabrication de fromage est impossible sans l’utilisation d’enzyme de veau que l’on retrouve dans leur 4e estomac. Notre animateur nous a expliqué que les Égyptiens avaient remarqué dans les abattoirs que le lait n’était pas directement digéré par les veaux, mais qu’il se caillait (coagulait) dans leur dernier estomac et prenait une forme solide ; une texture se rapprochant du fromage cottage, mais un peu plus ferme.

À partir de ce moment, on a commencé à extraire les enzymes lors de l’abattage et à le récupérer dans la conception de fromage.  Cette étape se nomme présure et consiste simplement à répandre le composant dans la cuve de lait. La laiterie de Charlevoix utilise encore des enzymes de veau alors que les grandes compagnies telles que Saputo ou Kraft utilisent des enzymes artificiels fabriqués chimiquement. Fait intéressant, un visiteur a confié à notre guide qu’il travaillait pour une compagnie fromagère aux États-Unis qui fournit entre autres le fromage des chaînes de restauration rapide connues (dont je tais délibérément les noms), et que la compagnie utilisait 0% de matière laitière dans leur fromage et qu’ils sont uniquement composés artificiellement.

Holstein VS Vache canadienne

Mon fromage préféré s’est avéré être le 1608 dont le lait provient de la vache canadienne, espèce en voit de disparition. Avant la Deuxième Guerre mondiale, la majorité des vaches laitières étaient des vaches canadiennes qu’on peut reconnaître à leur pelage brun très foncé, leur pis blanc et l’intérieur de leurs oreilles foncé. Alors qu’on dénombrait des centaines de milliers de bêtes, il n’y a maintenant que 500 têtes au travers le Canada. Pourquoi avoir délaissé la bête ? Encore une fois, c’est de la faute des baby-boomers. Après l’explosion de naissances, les quantités de lait produites ne suffirent plus ; la vache canadienne produit 25 litres par jours alors que la Holstein en produit en moyenne 42-44 litres. Également, le lait de la vache canadienne a un lait plus gras et plus protéiné que celui de la holstein. Celui de la Holstein s’apparente à de l’eau en comparaison.  Également, à l’époque le gouvernement a beaucoup financé les changements de production vers l’élevage de Holstein et donc les fermiers ont délaissé l’autre espèce sans maintenir la génétique et la reproduction. La Laiterie de Charlevoix a poussé pour le maintien de l’espèce et a acquis officiellement un troupeau reconnu qui dénombre 150 têtes.

vache canadienneCe qu’il y a de bien derrière le choix du nom de leur fromage est la petite touche historique. Dans le cas du 1608, c’est parce que le fromage vient de la vache dite canadienne qui a été  introduite en 1608 par les Européens sur notre continent.

Cette visite m’a beaucoup plu, mais me laisse un brin songeuse. Alors que je flirte avec le végétalisme, je me suis questionnée sur la présence d’alimentation fermentée dans les cultures. En effet, les aliments vieilli ou fermenté comportent des super bactéries qui sont bénéfiques pour notre santé. Je pense entre autres au nato chez les Japonais et le vin rouge qui, bu de manière responsable, nous donne un plein d’antioxydant. Je me demande si le fromage n’entrerait pas aussi dans cette catégorie. Il s’agit d’une question ouverte, est-ce que le fromage en plus des protéines qu’il fournit ne donnerait pas non plus  à notre flore intestinale des éléments nécessaires à sa bonne constitution ? Le fait que le lait soit coagulé par des enzymes de veau neutralise-t-il les hormones de croissance qui ne sont pas destinées à notre espèce ?

À suivre, pour l’instant je ne peux que saluer le processus écologique mis en place par la Laiterie de Charlevoix et qui fait d’excellents fromages d’icitte. Avec du lait d’icitte, avec des espèces d’icitte et une tradition qui nous est propre. Je termine cet article en mastiquant un morceau de fromage en crotte salé à la main. Squiq Squiq.

PS: voici l’ancêtre des camions de crème à la glace avant l’électricité. On mettait de la glace dans la cuve de bois et les pots de métal contenaient la crème glacée. 

crème glacée